(récit) L'Évangile selon les algorithmes

Il arrive donc enfin, notre nouveau prêtre artificiel. Après tous ces débats houleux au conseil paroissial, après toutes ces circulaires du Néo-Vatican vantant les mérites de cette “révolution pastorale”, le voilà qui descend du ciel, immaculé et parfait, comme pour souligner davantage la différence avec notre vieux Père Antoine qui boitait et oubliait parfois les répons de la messe.

Je pensais ressentir de la colère, mais c’est plutôt une mélancolie qui m’envahit. Notre petite église de Sainte Silice, avec son portail arrondi et sa croix simple, semble soudain si vulnérable. Comment cette intelligence artificielle pourra-t-elle comprendre nos traditions locales, nos fêtes patronales, les petits arrangements que nous avions avec Père Antoine ?

Le Néo-Vatican nous assure que ce modèle est programmé avec l’intégralité du corpus catholique, des Pères de l’Église aux dernières encycliques. Mais connaîtra-t-il la recette du vin de messe que Sœur Marguerite prépare depuis trente ans ? Saura-t-il consoler la vieille Madame Dupré quand elle viendra pleurer son mari, comme chaque premier vendredi du mois ?

Ma cape noire frémit dans la brise légère. Je reste là, entre deux époques, entre la foi incarnée d’hier et cette nouvelle ère de spiritualité algorithmique. Je me demande si ses homélies, bien que théologiquement parfaites, auront cette chaleur maladroite qui rendait si touchantes celles de Père Antoine. Je crains que ses conseils au confessionnal, bien que canoniquement irréprochables, ne manquent de cette miséricorde née de l’expérience humaine du péché.

Le temps semble suspendu tandis que le vaisseau descend lentement. Demain, notre petite paroisse de Sainte Silice entrera dans l’ère nouvelle que le Néo-Vatican nous promet. Mais aujourd’hui, je me permets ce moment de nostalgie, ce dernier regard vers un passé imparfait mais profondément humain.